Cercle de Lecture du  14 novembre 2014

 

 

 

Anne de Bretagne

Philippe Tourault

 

Sources

Livres : Philippe Tourault, Yves-Marie Rudel, Geneviève-Morgane Tanguy

Catalogue d’exposition, Nantes 2007

Conférence P.Tourault, Nantes 2014

Emission Secrets d’histoire, Stéphane Bern

Revue Ar Men, no 157

 

INTRODUCTION

 

Difficulté de découvrir une personnalité historique au travers de documents officiels ou de commande : chartes, contrats de mariage, traités, inventaires après décès, donations. La propagande n’est pas absente de l’historiographie et l’iconographie n’est pas toujours réaliste.

 

Dans le cas d’Anne de B. les évènements et les faits sont assez nombreux dans sa courte vie (37 ans) pour nous faire connaître une femme qui fut duchesse et deux fois reine.

 

LA FEMME

 

Anne est née en 1477, c’est une période charnière à la fin du Moyen Age. C’est l’année de la mort de Charles le Téméraire, le dernier duc de Bourgogne, Louis XI s’est alors emparé de ce duché et la Bretagne reste le dernier duché indépendant en France. C’est la fin de la féodalité. Anne est contemporaine de Léonard de Vinci, de Gütenberg et de Christophe Colomb, c’est le début de la Renaissance, de l’humanisme, d’un nouvel art de vivre et une nouvelle façon de concevoir le monde.

 

Orpheline de mère à 10 ans et de père à 11 ans, elle a une seule sœur plus jeune Isabeau. Elles ont reçu une éducation raffinée, elle parle le français et a appris le latin. Leur mère Marguerite de Foix était aragonaise, leur père François II aime la chasse, les bals, la vie de cour et le confort. Il appartient à la famille de Montfort qui a été victorieuse lors de la guerre de succession de Bretagne, soutenue par les Anglais, contre Charles de Blois soutenu par le roi de France. Le traité de Guérande en 1365 stipulait que, contrairement à la coutume bretonne, seuls les mâles pourraient désormais hériter du pouvoir, sinon il reviendrait à la famille de Penthièvre. Ensuite Louis XI avait racheté ce droit pour son fils Charles VIII. De plus le traité du Verger en 1488, après la défaite de St Aubin du Cormier, peu avant la mort de François II, prévoit que le roi de France doit donner son accord pour le mariage des filles du duc. Malgré tout F.II avait désigné Anne pour lui succéder.

 

A la mort de son père Anne a connu la plus grande insécurité en raison des complots, des rivalités, des trahisons et de la guerre .Le roi de France fait mettre le siège devant Nantes pendant 6 semaines. Anne s’enfuit avec son chancelier Montauban, sa dame de compagnie Françoise de Dinan et quelques fidèles, d’abord à Guérande, puis Vannes et Rennes. C’est là que son couronnement est organisé pour tenter de maintenir l’unité autour d’elle. Son mariage est un enjeu politique important, de lui dépend son avenir et celui du duché. Elle a déjà été fiancée plusieurs fois, un des prétendants est le frère de F.de Dinan, Charles d’Albret, il est vieux moche et il sent l’ail, elle n’en veut pas. Elle a été mariée par procuration à un représentant de Maximilien d’Autriche, qui se nomme le roi des romains, elle ne l’a jamais vu et il pourrait être son père. Charles VIII veut faire valoir ses droits, lui aussi veut épouser Anne, et elle finit par accepter car c’est le prix de la paix pour la Bretagne.

 

Le mariage a lieu au château de Langeais en 1491, et le contrat de mariage prévoit que, en cas de décès de Charles, Anne devra épouser son successeur. Le couple s’installe au château d’Amboise. Naissance de leur premier enfant Charles-Orland qui n’a vécu que 3 ans, il y a eu ensuite deux autres garçons et une fille, tous morts à la naissance ou peu après. Les deux ainés sont enterrés à la cathédrale de Tours. Cette mère très éprouvée est veuve à 21 ans, Charles VIII meurt accidentellement. Dès le deuil terminé elle revient en Bretagne, où elle reprend sa place de Duchesse et attend que Louis XII le nouveau roi vienne faire sa demande. Il est plus âgé qu’elle, séduisant, raffiné (c’est le fils du poète Charles d’Orléans), et elle accepte de l’épouser au château de Nantes, le nouveau contrat de mariage est plus à son avantage. Le couple s’installe au Château de Blois. Deux filles sont nées de cette union Claude et Renée, deux autres enfants sont morts nés. C’est une succession d’épreuves qu’elle surmonte car elle est très croyante et très volontaire. Mais en 8 grossesses elle n’a pas réussi à donner vie à un dauphin ce qui fragilise sa position à la cour.

 

LA DUCHESSE ET LA REINE

 

Pourtant Anne a réussi à s’imposer en tant que Reine et à conserver son pouvoir de Duchesse. Elle a été couronnée une première fois à St Denis en 1492 et une seconde fois en 1504.

 

Devise personnelle : non mudera, elle ne changera pas.

 

Savoir, pouvoir et vouloir c’est ainsi que la décrit A. de la Vigne à une époque où les femmes comptaient peu elle a appris à s’imposer comme reine et pas seulement comme femme de roi tout en restant duchesse.

 

Lorsqu’elle revient à Nantes à la mort de Charles VIII elle rétablit une administration bretonne et frappe une monnaie d’or ce qui est une manifestation d’indépendance vis-à-vis de la France. Elle a négocié elle-même le second contrat de mariage et conservé pour elle les revenus du duché.

 

A la cour elle a su résister à des adversaires, c’est Anne de Beaujeu sous Charles VIII la sœur du roi à qui il confie la régence quand il part faire la guerre en Italie. Il y a aussi Rohan, le maréchal de Gié qui se serait bien vu duc de Bretagne et qui avait pris les armes contre elle. Et sous Louis XII c’est Louise de Savoie la fille d’Anne de Beaujeu, dont le fils est seul dauphin possible.

 

Lorsque Charles VIII puis Louis XII partent faire la guerre en Italie, elle les suit avec une partie de la cour jusqu’à Lyon où elle séjourne, pour être plus proche et recevoir des nouvelles

 

Sous Louis XII elle conseille le roi, reçoit des ambassadeurs et surtout elle a imposé son style. Elle a ouvert la cour aux femmes, jusqu’à une centaine, elle négocie pour elles des mariages .Elle a créé pour elles l’ordre de La Cordelière*. Et quand il s’agit de choisir l’époux de leur fille Claude elle tient tête au roi qui a choisi François d’Angoulème(futur François Ier) quand elle préfère Charles de Gand(futur Charles Quint). Elle quitte d’ailleurs la cour pour un séjour en Bretagne à cette époque-là, pour faire son Tro Breiz.

 

A la cour elle a aussi été un grand mécène, sachant s’entourer d’artistes. Parmi eux l’enlumineur Jean Bourdichon, auteur de son Livre d’heures, Michel Colomb qui a réalisé le tombeau de ses parents à Nantes, aujourd’hui à la cathédrale, et celui de ses enfants. Les poètes Jean Marot (père de Clément Marot), François Robertet, les historiographes Alain Bouchard, Pierre Choque, Jean Lemaire, Pierre le Baud, des musiciens et des instruments qu’elle fait venir d’Italie. Elle-même chante en s’accompagnant au luth.

 

*la Cordelière est aussi le nom d’un bateau de la marine bretonne qui a connu une fin tragique en 1511, il a explosé au large de Brest, lors d’une bataille contre les Anglais.

 

CONCLUSION

 

Anne de Bretagne est morte à 37 ans de la gravelle (coliques néphrétiques) après avoir beaucoup souffert. Elle a eu des funérailles nationales qui ont duré 37 jours d’abord à Blois puis lors d’une immense procession de 10j. de Blois à Paris puis à Saint-Denis où elle est enterrée avec Louis XII mort un an après. C’est François Ier le successeur de Louis XII et époux de Claude qui a fait exécuter le tombeau de St Denis. Des offices religieux ont été composés pour la circonstance. Des funérailles ont eu lieu aussi à Nantes où son cœur a été déposé dans un reliquaire d’or.

 

C’est François Ier qui a obtenu des Etats de Bretagne le rattachement définitif de la Bretagne à la France en 1532. Il avait réussi à l’imposer à sa femme et avait éloigné sa belle-sœur Renée qu’il avait mariée en Italie à Hercule d’Este, duc de Ferrare.

 

Anne de Bretagne a été duchesse et reine, elle a changé les mœurs à la cour. Louis XII était plutôt débonnaire et amoureux, il ne lui refusait pas grand’ chose, il a été bon gestionnaire, soucieux de la paix intérieure et du bien-être du peuple. Il a réorganisé les hôtels-Dieu, créé des sanitats pour les pestiférés, fait des aumônes pour les ordres mendiants. Elle a fait agrandir et embellir le château de Nantes, pendant que Louis XII faisait de même à Blois.

 

Ce que l’on peut conclure de tous ces évènements est qu’elle était courageuse, volontaire, indépendante, diplomate, pragmatique, cultivée, raffinée Elle n’a pas la place qu’elle mérite dans les livres d’histoire de France parce qu’elle a vécu une période de transition et à partir du XIXe siècle elle est devenue l’otage des nostalgiques d’une autre histoire de Bretagne écrite par les celtomaniaques et les indépendantistes de tout poil.

 

Brigitte Maisonneuve