Cercle de lecture du 18 octobre 2013

 

Géronimo a mal au dos

Guy Goffette Prix Goncourt de la poésie en 2010

 

 À l’homme de ma vie,

Géronimo,

mon père

 

Dans . « Géronimo a mal au dos »   troisième roman imprégné lui aussi d’autobiographie, l’écrivain belge GUY GOFFETTE  revient sur son rapport au père et nous livre ses souvenirs d’aîné d’une famille modeste de la fin des années cinquante dans la campagne ardennaise. L’action se passe dans un petit patelin entre la Meuse et la Semois. Simon, qui était le narrateur enfant d’« Un été autour du cou », est aussi le narrateur de cette histoire. Adulte, il retourne  au village pour assister aux obsèques de son père  si  sévère et exigeant  qu’il avait fini par douter de l’amour de son géniteur. Tous les chapitres de ce livre s'achèvent par un court poème dont l’auteur nous donne l’explication : en effet, en parlant de son  père,  il dit : « nous avions lui et moi un œuf à peler qui a duré longtemps. « Géronimo a mal au dos » est le tombeau de mon père écrit en vers cachés c’est-à-dire en prose. Il faut que l’émotion trouve son mouvement : si l’émotion est trop forte, j’écris en prose. Le livre s’écrit et il trouve la forme qui lui convient. Parfois des traversées de poésie sont des clins d’œil, de petits rires. Il faut garder la tête haute pour ne pas tomber ! »

 

Le premier chapitre est un court dialogue, un poème élégiaque dédié au père. Le roman s’ouvre au chapitre 2, dans le salon vidé de ses meubles et transformé en chambre mortuaire. Simon n’a pas accompagné   Géronimo dans son agonie à l’hôpital,  arrivé trop tard, il ne l’a pas vu mourir ! Devant le cercueil déjà scellé, entouré des nombreux visiteurs du village venus rendre un dernier hommage au défunt, Simon ne semble pas triste mais plutôt en observation   : « La pièce est petite et fleurie comme une serre »   Submergé par la foule de souvenirs qui l’assaillent, il  regarde et réfléchit. Tout le décorum  lui rappelle « les chapelles ardentes d’autrefois » et intérieurement, il dénonce « cette abondance intempestive » lors d’un deuil. Ce lieu ravive probablement le souvenir du décès de   sa grand-mère préférée qui mourut dans cette même pièce lorsqu’il était adolescent et qu’il accompagna dans son agonie en lui tenant la main.

 

 À travers les  images qui refont surface il nous livre beaucoup de ses  rancoeurs et nous  imaginons    combien  il a  dû souffrir   enfant et adolescent de  l’éducation stricte et austère d’un père tyrannique et violent aux colères redoutables dont il se sentait prisonnier :  « C’était toujours l’été dans ma tête quand je pensais à là-bas, à ce petit coin de Lorraine, toujours vert et vivant, avec des coquelicots au bord des champs et des tritons dans la grande mare au bord de laquelle je passais mes après-midi avec les copains ; toujours l’été jusqu’au retour de mon père dont la salopette bleue, sitôt aperçue, me faisait frissonner comme au creux de l’hiver ».

 

Simon rêvait d’affection, d’amour, tout cela lui  était refusé car, pour ce père, ce sont des détails, des peccadilles. Les enfants doivent à leurs parents obéissance et  gratitude. «Qu’est-ce qu’une maison où l’on ne rit pas, une maison où l’on ne chante pas, où l’on ne s’embrasse pas, ou alors si distraitement, à de si rares occasions que ça compte pour du beurre?»

 

 L’énorme  soif de liberté, l’envie de fuir l’austérité, les brimades,   les taloches et les vexations   firent de lui le fils prodigue, sorte de «  mouton noir » de la fratrie.  Il disparut en effet pendant de nombreuses années sans se préoccuper de ceux  dont il s’était éloigné : «  Dix années dont je n’ai rien su, dont j’étais même loin de me douter. ….. Pas d’adresse où me joindre, pas de téléphone, je me contentais d’envoyer à mes parents une ou deux cartes postales par an, des paysages exotiques et colorés »

 

Mais Simon est un homme désormais,  il pense à son père « l’homme de sa vie » à qui il dédie le roman. De retour pour les obsèques   après tant d’années d’absence, il entend sa sœur cadette  dire «nos parents ont fait ce qu’ils pouvaient avec ce qui leur avait été donné» et préciser ce que  fut l’absence du fils aîné : « Dix ans à broyer du noir, à marmonner qu’il était seul et qu’il avait tout raté, tout… »  il découvre   aussi que Géronimo,  parfois, « … avait du mal à cacher qu’il avait pleuré. » Cette facette de son père  Simon ne l’avait jamais  perçue : au fil des pages,    on chemine dans  l’introspection de ce fils devenu adulte qui se voit contraint de pondérer son jugement et ne peut  taire la culpabilité qui l’étreint peu à peu. La disparition du père lui fait remonter le temps, il parcourt rétrospectivement l’espace et le temps que furent ses années de fugueur rebelle et nous découvrons ses inquiétudes lors de ses retrouvailles avec sa mère. Contrairement aux autres enfants de la famille,  il a fait sa vie loin d'eux,  que va-t-elle lui reprocher ? Son éloignement ? Son ingratitude filiale ? N’est-il pas devenu l’étranger ?   Face au cercueil, Simon    s’adresse à celui qui ne peut plus l’entendre,  il essaie de régler ses comptes, ce père ne lui avait-il pas dit : «Les livres c’est fait pour ceux qui n’ont rien à faire.» mais il  reconnaît    que c’est le manque de communication  qui généra les malentendus. Nous découvrons une image très humaine de ce père qui avait rêvé pour son fils une vie bien meilleure que la sienne  « …….toujours comme écrasé par le poids de la famille, le sens du devoir, le souci de la respectabilité.  »

 

La deuxième partie du livre, plus courte, raconte les dernières semaines de la vie de Géronimo, son désespoir et sa révolte face à la maladie et au ravage du temps. Lors d’une fête familiale et de façon   très émouvante, Simon  l’observe  avec  compassion, nous découvrons avec lui  l’ amour filial auquel il n’avait jamais cru : «Mais regardant cet homme au milieu des rires et des chansons, comme un chêne dans son feuillage ; ce danseur crucifié à côté de la piste, ce père que j'ai craint comme l'orage et que j'ai fui pour ne pas avoir à le détester, je me dis qu'il y a pire douleur que tous les arbres de la forêt abattus, tous les massacres en images, c'est de voir un homme en silence qui pleure.»   Simon découvre un peu tard son amour pour ce pater familias  si singulier !

 

Guy Goffette écrit : «  on ne guérit pas d’avoir manqué la mort du père et de comprendre tardivement qu’on a été aimé. » L’écriture de  ce livre ne parviendra probablement pas à libérer l’auteur poète du poids de tant de souvenirs rugueux !

 

Réjane de Rusunan